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LE SIGNIFIANT

LA DOUBLE ARTICULATION (1) La première articulation

1. La double articulation . Premier niveau : le monème

La linĂ©aritĂ© de l’Ă©noncĂ©, le caractère discret des signes, le rapport entre signifiant et signifiĂ© Ă  l’intĂ©rieur du signe lui-mĂŞme, permettent une analyse par « segmentation » de la chaĂ®ne parlĂ©e qui nous montre le trait le plus important du langage humain, un trait qui le distingue des autres systèmes de communication : la double articulation. Les sĂ©quences de la chaĂ®ne parlĂ©e se composent en effet d’unitĂ©s qui ne se situent pas toutes au mĂŞme niveau.

A un premier niveau (premier en allant d’une comprĂ©hension globale vers une analyse toujours plus fine des parties) on trouve, en segmentant de plus en plus la chaĂ®ne du plus grand au plus petit, toute une sĂ©rie d’unitĂ©s douĂ©es de sens : phrases, syntagmes, mots, etc. Toutes ces unitĂ©s sont de vĂ©ritables signes : elles possèdent un signifiant (la sĂ©quence sonore dont elles sont constituĂ©es) et un signifiĂ© (l’information-concept-signification auxquels elles se rĂ©fèrent). L’unitĂ© la plus petite, qui garde un sens, est le monème. Le monème, comme on le verra, peut correspondre Ă  un mot, ou il peut ĂŞtre encore plus petit : -ons, dĂ©sinence verbale, a par ex. un sens : celui de se rĂ©fĂ©rer Ă  un “nous”, et non Ă  un “vous”, un “moi”, etc.. Quelquefois le monème peut au contraire comprendre plusieurs “mots” (voir plus bas, *) .

Dans le mot « retrouveront » on peut alors distinguer 4 monèmes, c’est-Ă -dire 4 petites unitĂ©s douĂ©es de sens :

• Re- = « encore une fois », « une autre fois » • Trouv (e)- = lexème qui indique « trouver » • -(e)r- = qui indique « futur » • -ont = qui indique le sujet : « ils »

D’autres exemples de monèmes :

* aujourd’hui : 1 monème ; * au fur et Ă  mesure ; 1 monème (si je divise l’expression le sens se perd) ; rĂ©embarquons : 4 monèmes (re-, em-, barqu(e), -ons, etc.

« monème » est un terme crĂ©e par A . Martinet, qui distingue plusieurs sortes de monèmes, et en particulier les « lexèmes » (monèmes Ă  valeur lexicale, liĂ©s au « sens » gĂ©nĂ©ral d’une unitĂ© de lexique : par ex. , « parl- »dans le mot « parlez ») et les « morphèmes » (monèmes Ă  valeur grammaticale (p. ex. « -ez », qui renvoie Ă  « vous » aussi bien pour « parl- », que pour « part - », que pour « voyag-« , etc.). La terminologie dans ce domaine est très variĂ©e : pour bien d’autres, « morphème » remplace le « monème » de Martinet, etc.

[voir plus bas, Ch. 5 : le phonème]

2. La commutation

Deux monèmes, ou deux unitĂ©s quelconques de la langue (y compris les unitĂ©s « empiriques », c.-Ă -d. les mots), ne peuvent pas se trouver au mĂŞme point de la chaĂ®ne parlĂ©e. Une unitĂ© peut pourtant « remplacer » une autre du mĂŞme type au mĂŞme endroit . Cette opĂ©ration de substitution, qui s’appelle commutation, est importante de vue :

1. du point de vue fonctionnel : elle permet de « dire » des choses diffĂ©rentes. « Aujourd’hui » peut ĂŞtre remplacĂ© par « hier » ou par « demain » ; « re » de « rĂ©embarquons » par « dĂ© » pour donner « dĂ©barquons », etc. ;

2. du point de vue analytique elle permet d’Ă©tablir l’identitĂ©, quant Ă  leur fonction, de deux unitĂ©s de la langue, et d’Ă©tablir en mĂŞme temps ces unitĂ©s (si je peux remplacer une unitĂ© par une autre, Ă  l’intĂ©rieur de la chaĂ®ne, ces deux unitĂ©s seront du mĂŞme type).L’opĂ©ration de commutation et peut se faire Ă  tous les niveaux de la chaĂ®ne parlĂ©e :

> mon père a dit que je peux aller au cinĂ©ma # mon père a dit que je dois terminer mon travail = comm. au niveau de phrase > mon père a dit que je dois terminer mon travail # mon père a dit que je dois aller chez ma tante = comm. au niveau de syntagme > mon père a dit que je dois aller chez ma tante # mon père m’a dit que je dois aller chez mon oncle = comm. au niveau des mots

Chaque fois que l’on opère une commutation, on opère donc un choix, et le sens change, car les substitution d’un Ă©lĂ©ment par un autre entraĂ®ne une diffĂ©rence sur le plan des signifiĂ©s.

Les deux Ă©lĂ©ments qui commutent s’opposent mutuellement : ils ne peuvent jamais ĂŞtre au mĂŞme point de la chaĂ®ne au mĂŞme moment, le sens varie selon leur prĂ©sence ou leur absence. La commutation sert donc Ă  isoler des unitĂ©s qui peuvent apparaĂ®tre au mĂŞme endroit de la chaĂ®ne, et Ă  vĂ©rifier par lĂ  leur identitĂ©. Non pas une identitĂ© formelle, ni une identitĂ© sĂ©mantique. C’est une identitĂ© distributionnelle (= occupation du mĂŞme endroit) et, souvent, fonctionnelle. Elle relève de l’axe paradigmatique.*

3. Les axes du langage

La notion de commutation, avec l’idĂ©e de « choix » qu’elle implique, et qui s’opère Ă  l’intĂ©rieur d’une sĂ©quence linĂ©aire, nous fait entrer dans le mĂ©canisme fonctionnel qui commande la construction de l’Ă©noncĂ© linguistique, oĂą le choix des unitĂ©s distinctives s’allie Ă  la nĂ©cessitĂ© de les lier les unes aux autres pour former la chaĂ®ne parlĂ©e. Ces deux opĂ©rations, choix et mise en relation, se font suivant deux « axes » du langage que Saussure nomme « paradigmatique » et « syntagmatique ».

*Axe paradigmatique = c’est l’axe des choix , selon une sĂ©rie d’oppositions au sein de la langue. Homme, p. ex., est en rapport contrastif avec : a. enfant, vieillard, jeune homme, garçon, etc. ; b. femme, fille, vielle, etc. ; c. statue, robot, animal. Dans l’Ă©noncĂ© cet homme est gĂ©nĂ©reux, “homme” est en rapport d’opposition avec tous les mots, qui, dans l’Ă©noncĂ©, pourraient commuter avec lui (“enfant”, mais non “vieillard”, Ă  cause de “cet”, etc.). « Cet homme » pourrait commuter avec « ce vieillard », « ce garçon », etc., et ainsi de suite.

Les rapports paradigmatiques sont des rapports associatifs, qui lient entre eux des signes linguistiques en ensembles sur la base de relations très variĂ©es. Par exemple :

- relations au niveau signifiant-signifiĂ© : manger, mangeons, mangez (« mangeons donc ce poulet ! » ? « mangez donc ce poulet ! », etc.)
- relation au niveau du seul signifiĂ© : « manger », « avaler », « dĂ©vorer », « se nourrir », etc. (« Marie a mangĂ© le poulet » ? « Marie a avalĂ© le poulet »)
- relation au niveau du seul signifiant : c’est le cas de la rime : « vapeur- coeur- douleur-fleur » ; « calmement - empressement - tourment »
- relation au niveau grammatical : (« Marie [nom propre] a dĂ©vorĂ© son poulet » ? « Jean a dĂ©vorĂ© son poulet ») ;
- relation sa-sĂ© (signifiant-signifiĂ©) sutr le plan phonĂ©tique : il a pris un bain // un pain
- etc. etc.

Tout Ă©noncĂ© linguistique est le rĂ©sultat de choix Ă  l’intĂ©rieur d’un paradigme.

paradigme : l’ensemble des unitĂ©s qui commutent entre elles dans un grand nombre d’Ă©noncĂ©s. (rapport virtuel de substituibilitĂ©). Ce concept très gĂ©nĂ©ral, ne se rĂ©fère pas seulement aux monèmes, mais aussi aux phonèmes, aux verbes, aux mots, etc.

1. “beaucoup” peut commuter avec “Ă©normĂ©ment”, “trop”, “assez”, etc. dans des phrases comme il souffrait bcp. :

il appartient donc au mĂŞme paradigme

2. “bcp” peut commuter avec “plusieurs”quelques-uns”, “certains”, ds des phrases telles que : bcp l’admirèrent.

MalgrĂ© l’identitĂ© de forme avec l’exemple prĂ©cĂ©dent, il s’agit de deux unitĂ©s diffĂ©rentes : “beaucoup” appartient donc aussi Ă  cet autre paradigme

3. le phonème /ñ/ ne figure pas dans le paradigme des consonnes initiales françaises (ital. : gnorri, gnocchi ; sp. /raro / ñandĂş)

> le phonème / ?/ (carotte) ne figure pas, en français, parmi les voyelles finales possibles : il n’entre pas donc dans ce paradigme...(Ă  la diffĂ©rence de l’italien : cantò, ciò, etc.)

*Axe syntagmatique = c’est l’axe oĂą se rĂ©alise l’union des Ă©lĂ©ments de la chaĂ®ne. Les relations syntagmatiques dĂ©rivent de la linĂ©aritĂ© du/des signifiant(s), qui exige des règles d’association plus ou moins obligĂ©es :

• cet homme, mais ce vieillard ; • les joueurs de ce soir ont eu de la chance # le joueur de ce soir a eu de la chance ; • etc. et qui donne un rĂ´le important Ă  la distribution des unitĂ©s : • Jean cherche Marie # Marie cherche Jean • Trou # rout(e)# tour • Etc.

Les relations syntagmatiques lient les divers Ă©lĂ©ments d’une chaĂ®ne parlĂ©e concrete : ce sont donc des relations « in praesentia ». Les relations paradigmatiques, au contraire, lient les divers Ă©lĂ©ments passibles d’entrer Ă  un endroit spĂ©cifique de la chaĂ®ne parlĂ©e, des Ă©lĂ©ments parmi lesquels on devra effectuer un seul choix : les relations paradigmatiques sont donc des relations « in absentia » (l’Ă©lĂ©ment choisi entretient cs relations avec des Ă©lĂ©ments absents).

ps: Sur les indications d’Evelyne.

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